#17. Etre publiée de son vivant
Mon héroïne : Goliarda Sapienza, l'écrivain qui n'a jamais vu son livre en librairie... devenu aujourd'hui un classique de la littérature ! Ce ne sera pas mon cas : j'ai trouvé un éditeur :-)
J’inaugure cette semaine comme promis une nouvelle rubrique dans ma newsletter.
—> Mon héroïne : Un portrait de femme méconnue comme un shoot d’adrénaline pour se redonner du courage et repartir au combat.
La vie est parfois mieux ficelée qu’un roman. Il y a des coïncidences qui nous laissent perplexes et qui, si elles étaient rapportées telles quelles dans un roman, ne seraient pas crédibles. Le lecteur soupirerait contre l’auteur : “bof, c’est vraiment gros comme rouage dans la narration…”
Un exemple de coïncidence peu crédible ? J’étais plongée dans la lecture de L’Art de la Joie de Goliarda Sapienza, une écrivain qui a passé sa vie à chercher à faire éditer son livre sans succès, quand la nouvelle est tombée…
Un éditeur a eu le coup de coeur pour mon dernier roman.
Je serai donc publiée de mon vivant.
Le manuscrit maudit de Goliarda
L’histoire de L’Art de la Joie est celle d’un long combat contre l’oubli et le refus.
Goliarda Sapienza, autrice italienne née en 1924, a consacré plus de dix ans, entre 1967 et 1976, à l’écriture de ce roman magistral, persuadée qu’il fallait briser les conventions littéraires et sociales pour dire la vérité des femmes. Mais au moment de chercher un éditeur, elle s’est heurtée à un mur. Trop subversif, trop libre, trop inclassable : aucun éditeur ne voulait prendre le risque de publier un texte qui défiait toutes les normes de son époque. Même une intervention du président italien de l’époque, ami de sa mère, n’a pas permis de débloquer la situation.
Désespérée, ruinée, Sapienza a continué d’écrire, tout en vivant dans une grande précarité. À sa mort en 1996, son mari, Angelo Pellegrino, n’a pas baissé les bras. Il a frappé à toutes les portes jusqu’à ce qu’une petite maison d’édition italienne accepte de publier L’Art de la Joie en 1998. Ce fut un premier pas.
C’est en France, grâce à la traduction de Nathalie Castagné aux éditions Viviane Hamy en 2005, que le roman a véritablement explosé, devenant un phénomène littéraire et un classique féministe. Aujourd’hui, il est étudié à l’université, réédité et lu dans le monde entier.
Un triomphe posthume, mais un triomphe tout de même.
L’Art de la Joie, une ode à la liberté des femmes
Dès les premières pages, L’Art de la Joie s’impose comme un roman incandescent, porté par une héroïne hors normes : Modesta. On prend une gifle immédiate : en quelques pages, on assiste à la découverte du plaisir sexuel par une petite fille, suivie d’une scène de viol incestueux !
Née en 1900 dans une Sicile écrasée par le poids des traditions, Modesta refuse dès l’enfance la soumission et la résignation. Grâce à son intelligence hors du commun, elle prend son destin en main avec une audace folle, passant de la plus grande pauvreté au couvent, puis intégrant une riche famille aristocratique. Elle devient tour à tour amante, épouse, mère et intellectuelle engagée. On ne peut pas lâcher le roman de tout son premier tiers, l’ascension de Modesta nous tient, elle nous en met plein la vue.
Mais ce roman est avant tout un chant de liberté. Il explore toutes les facettes de l’existence féminine : la sexualité vécue sans honte ni tabou, la maternité choisie, la complexité de l’amour sous toutes ses formes, la gestion d’un foyer sans se laisser enfermer dans un rôle prédéfini, l’engagement politique et la quête de soi à travers l’art et la pensée.
Enfin, L’Art de la Joie est aussi un grand roman historique qui traverse toute l’histoire de l’Italie de la première moitié du XXe siècle, de la chute des aristocraties à l’avènement du fascisme, des luttes anarchistes à la Seconde Guerre mondiale.
Modesta est une femme libre dans un monde qui cherche sans cesse à l’enfermer, et son histoire résonne encore aujourd’hui comme un manifeste de puissance et d’émancipation.
Libre aussi, dans sa manière d’écrire
Si L’Art de la Joie défie les conventions par son propos, il le fait aussi par sa forme. Goliarda Sapienza écrit avec une liberté totale, jouant avec les points de vue, les temporalités et les styles. Le roman passe sans prévenir de la troisième à la première personne, plongeant directement dans la conscience de Modesta. Parfois, le récit se réduit à de purs dialogues, à la manière d’une pièce de théâtre, laissant le lecteur interpréter les silences et les tensions sous-jacentes.
La narration est organique, en perpétuel mouvement, refusant les carcans traditionnels du roman linéaire. On ressent l’urgence de l’écriture, la nécessité vitale de raconter cette histoire. Cette liberté formelle fait écho à la liberté du personnage principal : Modesta ne se laisse enfermer ni dans une case, ni dans un style. C’est ce qui rend L’Art de la Joie aussi vivant, aussi vibrant.
Un texte indomptable, à l’image de son autrice.
Merci, Goliarda, de nous avoir offert le modèle de femme libre qu’est Modesta.
Ma vie d’écrivain
Le plus affreux dans cette histoire est que Goliarda est morte bêtement en tombant dans les escaliers. Elle avait 73 ans. Deux ans plus tard, elle était publiée. Cinq ans après, elle rencontrait le succès.
Je savoure d’autant plus la chance que j’ai d’être publiée de mon vivant (et je me méfie depuis des escaliers).
Ça y est, je viens de signer mon premier contrat d’édition pour un roman :-)
Un objectif que je poursuis depuis 8 ans.
J’entre dans la maison d’édition Finitude, celle qui a publié notamment En attendant Bojangles, petit bijou de livre, grand succès de librairie et tout aussi belle adaptation en film avec Virginie Efira et Romain Duris.
Je me sens alignée avec leur exigence littéraire et leurs valeurs humaines. Ce à quoi j’aspire avant tout est de progresser constamment en écriture. Devenir chaque jour meilleure dans mon art, c’est une obsession. J’ai le sentiment que cette maison va m’y aider. Alors bingo, j’ai signé !
Mon roman, Le Sigisbée, sortira en librairie courant 2026. Je vous tiendrai informées.
C’est mon 10e livre écrit, mon 5e roman, mon 3e contrat d’édition signé, mais c’est le plus important. C’est celui qui m’ouvre les portes de la littérature. Une reconnaissance pour mon travail, ma persévérance, ma folie aussi, d’avoir tout lâché pour dédier ma vie à l’écriture.
Quand j’aurai digéré cette belle nouvelle, je vous proposerai un retour d’expérience sur l’écriture de ce roman, une réflexion sur pourquoi celui-ci a marché, plutôt que les autres.
Pour le moment, je profite de ce moment de bonheur et de sérénité en contemplant la Loire :-)
A la semaine prochaine, chères lectrices !
Mathilde
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Félicitations pour ce bel accomplissement ! Je suis très curieuse de lire le résultat ;)