#8. Comment je suis devenue écrivain
... ou pourquoi un travail sur soi est nécessaire pour devenir écrivain
Je vous avais promis un bilan pour ce début d’année.
Plutôt que de vous assommer avec des chiffres, de l’autocongratulation ou de la positive attitude – qui semblent être plus qu’une mode, mais une obligation – je propose de vous raconter comment je suis devenue écrivain.
Perte de sens
Tout a commencé avec une perte de sens.
J’étais bien lancée dans la vie, dans ma carrière, je courais vite et bien dans ma roue à hamster comme tout le monde.
Et j’ai eu l’idée saugrenue de prendre du recul et de me regarder de loin, de nous regarder nous agiter ainsi. L’absurdité m’a sauté aux yeux.
Je me suis mise à lire frénétiquement pour trouver des réponses. J’ai quitté mon job et je suis partie en quête de sens.
Une interprétation du Petit Prince de Saint Exupéry m’a beaucoup parlé à cette époque. Le narrateur aviateur (qui est un peu aussi l’auteur) se crashe dans le désert. Il a le choix entre bricoler une réparation de son avion (au risque de s’écraser un peu plus loin) ou avancer dans le désert. Sa traversée du désert va l’amener à rencontrer le Petit Prince qui est en fait sa part d’enfant qu’il avait enfouie en lui. C’est grâce à ces retrouvailles merveilleuses qu’il va pouvoir réparer pour de bon son avion et repartir.
La morale de cette histoire : quand on traverse un désert de sens, reconnecter avec l’enfant qu’on était.
Et moi, enfant, je voulais être écrivain.
L’épreuve du premier roman
Je ne vous mentirai pas : l’écriture de mon premier roman a été un enfer.
L’enjeu était énorme : me prouver à moi-même que j’en étais capable… ou revenir dans la roue à hamster.
Entre mes premières tentatives (un feel-good book intitulé Les constipées anonymes… ce n’est pas une blague !) et le point final d’un vrai roman de 300 pages (Le Harem de Darwin, une dystopie féministe complètement barjo), il s’est écoulé presque 3 ans.
Je n’ai bien sûr pas fait que ça pendant 3 ans. J’ai travaillé, exploré plusieurs pistes dans ma quête de sens, écrit et monté une pièce de théâtre, et surtout j’ai aidé ma mère et mon mari à accomplir mon rêve : publier un livre.
C’est dire à quel point j’avais peur.
A cette époque, j’ai commencé à fréquenter plusieurs communautés d’écriture à Paris. Et il s’est passé un truc tout bête qui a eu un impact immense.
Un soir, alors que je rentrais tard d’une rencontre entre “écriverons” un peu geeks, fort sympathique mais où je ne m’étais pas tellement sentie à ma place, j’ai reçu un mail d’un inconnu, sûrement un des participants à cet atelier. Je l’ai gardé :
Et je n’ai pas abandonné. J’en ai eu envie des milliers de fois, mais je n’ai rien lâché.
Je suis venue à bout de ce premier roman.
Maîtriser la technique et intégrer un collectif
Je n’ai pas cherché à l’envoyer aux éditeurs. Souvenez-vous de ma comparaison de l’écriture avec le piano : ce n’est pas parce qu’on a fait sa première audition qu’on va pouvoir jouer un concert à la salle Pleyel !
Je l’ai autoédité avec Librinova.
Il m’a permis de rencontrer d’autres apprentis écrivains comme moi au festival des littératures d’imaginaire Les Imaginales à Epinal.
Là encore, c’est la gentillesse, l’ouverture et la simplicité d’autres “écriverons” qui m’ont donné le courage de continuer. Nous avons formé le collectif IANA (I am not alone) et nous réunissons une fois par mois pour écrire ensemble et nous soutenir.
Ce premier roman m’a permis de constater que j’avais beaucoup à apprendre : en termes de style, de langue française, de construction narrative.
Comme tout bon artisan, il me fallait maîtriser mes outils.
J’ai donc beaucoup travaillé. Un vrai programme commando : dictées, exercices de grammaire, pastiches, carnets de vocabulaire, ateliers d’écriture, étude de manuels de narratologie, de stylistique, de littérature. C’était comme si j’étais en classe préparatoire ! J’ai notamment passé le certificat Voltaire niveau Expert pour valider ma maîtrise de la langue française.
Durant cette période j’ai écrit deux romans :
Trait d’union, très personnel et libre dans sa composition et son style,
Les Voix de Venise, une fantasy historique très travaillée qui m’a demandé beaucoup de recherches et pour laquelle je m’étais lancé le défi de l’écrire en 4 mois (défi réussi à l’heure près…).
Aucune réponse des éditeurs pour Trait d’union que j’ai finalement autopublié sur Amazon et qui reste aujourd’hui mon “long-seller”.
2 retours constructifs d’éditeurs pour Les Voix de Venise avec qui j’ai même pu échanger de vive voix. C’était la fête !
S’assumer en tant qu’écrivain
Une étape importante a été de m’assumer en tant qu’écrivain. Cela s’est fait progressivement.
J’ai d’abord fait une annonce officielle sur Linkedin à mon réseau. Je m’attendais à ce que cela dynamite ma carrière, mais au contraire j’ai ensuite croulé sous les opportunités professionnelles.
J’ai eu la sensation que plus j’essayais de sortir du système, plus il cherchait à me retenir avec des propositions alléchantes. J’ai fait ainsi pendant plusieurs années de nombreux va-et-viens entre le monde de l’entreprise et l’ermitage nécessaire à l’écriture.
Je n’ai donc pas assumé l’écriture au premier plan de ma vie pendant longtemps. Je travaillais, et à côté j’avais ce “dada” d’écrire.
Puis je me suis mise à le revendiquer comme un métier, tout en soulignant bien qu’on n’en vit pas et qu’il en fallait un autre à côté.
Pour mieux accommoder ces deux vies, j’ai entrepris de me reconvertir pour devenir psychologue. Je m’imaginais que cela me laisserait plus maître de mon temps pour écrire. J’ai donc fait en parallèle une licence puis un master de psychologie, tout en commençant à pratiquer en tant que coach et psychopraticienne.
En réalité, ce n’est pas seulement de temps dont on a besoin pour créer, mais surtout de liberté d’esprit.
Faire de l’écriture la priorité n°1
On arrive à début 2024. Et c’est mon grand accomplissement de cette année.
J’ai pris conscience que je ne voulais pas juste écrire des romans corrects par-ci par-là. Ce que je veux, c’est faire de la littérature.
J’avais la réponse à ma quête de sens :
“La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent pleinement vécue, c'est la littérature.”
Marcel Proust, Le Temps retrouvé
… et l’intuition que je n’y parviendrai pas sans mettre l’écriture au coeur de ma vie, en faire ma priorité n°1.
C’est comme ça que je me suis installée à temps plein dans ma maison au bord de la Loire, loin de l’agitation parisienne, seule la majeure partie du temps.
Cette année, j’ai envoyé promener tout ce qui n’était pas en lien avec l'écriture : mes missions de conseil, mes cours d’entrepreneuriat, mes études de psycho, mes consultations, mes formations en risques psychosociaux…
Miraculeusement, après avoir allégé ainsi ma vie, dans le mois qui a suivi, j’ai réussi à terminer mon 4e roman qui me donnait du fil à retordre depuis 3 ans !
Et ce livre-là, même s’il n’a pas encore trouvé d’éditeur, m’a permis d’échanger avec Gallimard, Albin Michel et L’iconoclaste.
Alors certes, la conséquence de ce grand ménage peu raisonnable, c’est que je ne roule pas sur l’or (je vis “à la cave”, comme je l’expliquais dans une édition précédente). Mais je n’ai jamais été aussi près du but.
Gagner de l’argent en écrivant
Dans l’idéal, j’aimerais passer tout mon temps à écrire mes romans.
Dans la réalité, il faut bien manger, donc faire des concessions…
Plutôt que de gagner de l’argent avec mes compétences business ou psycho, j’ai trouvé plus cohérent de le faire avec ma plume, même si cela rapporte moins.
Depuis 2021 je suis donc ghostwriter et coach d’écriture.
Dans l’année 2024, j’ai ainsi écrit 4 livres.
Gagner de l’argent grâce à mon écriture a été une étape importante pour conquérir ma légitimité mais surtout prendre confiance en moi.
De fil en aiguille, cette activité m’a aussi permis d’être publiée et donc de me confronter aux éditeurs… et constater que j’étais au niveau ! (Apparemment c’était évident pour tout le monde, mais je souffre d’un grand syndrome de l’imposteur.)
Alors certes, je suis publiée pour mes essais de management, donc grâce à ma formation initiale et mon expérience passée en entreprise, et pas encore pour mes romans, ce qui est ma vocation.
Mais cela viendra car en 2024 j’ai aussi compris quelque chose de fondamental sur l’écriture…
Grandir pour écrire
Qu’un premier roman ne soit pas considéré par les éditeurs, on peut le comprendre. Je l’ai dit : l’écriture est tout un apprentissage, on est rarement suffisamment bon dès le premier livre. Souvenez-vous du piano et de la salle Pleyel.
Mais pourquoi certains écrivains qui n’en sont pas à leur premier coup d’essai et commencent à bien maîtriser la technique ne percent toujours pas ?
La première raison est évidemment qu’il faut avoir beaucoup de chance. Il faut croiser l’éditeur qui aura le coup de foudre pour ce que vous écrivez et sera prêt à vous défendre. De surcroît, le secteur du livre ne se porte pas très bien et il est de plus en plus difficile d’entrer dans le sérail, puis de percer, puis d’en vivre. Bref, le climat n’est pas propice.
J’ai l’occasion de lire de nombreux manuscrits d’auteurs pas (encore) publiés, dont certains qui démontrent une bonne maîtrise technique, mais la plupart du temps je comprends pourquoi ils n’ont pas trouvé preneur. Je me dis : si j’étais éditeur, est-ce que je ressentirai l’enthousiasme suffisant pour défendre ce livre ? La réponse est non.
Souvent, il manque un supplément d’âme.
Je tatonne encore pour formuler clairement cette intuition, elle s’affinera certainement au cours de l’année 2025.
J’ai la sensation qu’une fois la technique maîtrisée, pour faire de la littérature, mettre dans ses livres ce “supplément d’âme”, il faut apprendre à bien se connaître.
Il faut grandir pour écrire.
Et j’ai terminé l’année 2024 par la lecture d’un essai illuminant sur le sujet que je vous recommande chaudement.
Ecrire : dépasser les peurs qui nous limitent
Eudes Séméria est psychologue. Dans son livre Ecrire : dépasser les peurs qui nous limitent, il nous propose donc une analyse psycho-littéraire du processus de transformation psychique qui s’opère pour devenir écrivain.
“On peut tout connaître de la vie d’un écrivain illustre, on peut même tout savoir de la technique d’écriture d’un roman, d’un scénario, d’un essai, d’une pièce de théâtre, on peut maîtriser la langue et la littérature dans leurs moindres subtilités, on n’en deviendra pas écrivain pour autant. Il manquera encore quelque chose.”
Il émet l’hypothèse qu’il existe un stade de développement cognitif au-delà des 4 stades décrits par Jean Piaget chez l’enfant : le stade de la créativité avancée qui donne la capacité à créer des œuvres originales. Pour atteindre ce stade, il faut entrer dans un “processus de maturation psychologique volontaire”.
Il nous encourage donc à grandir pour écrire, tout en soulignant qu’écrire permet aussi de grandir !
“Grandir pour écrire – grandir signifiant identifier puis maîtriser ce qui en soi est de l’ordre de l’infantile (manque d’estime de soi, manque de confiance, procrastination, peurs, etc.) et empêche encore de découvrir sa propre écriture.
Écrire pour grandir – écrire signifiant construire l’outil de sa propre construction ; en effet, un projet d’écriture propose toujours de nombreux défis existentiels, en lien avec le sens de sa vie, le besoin de trouver sa place dans le monde.”
Il propose dans son livre plusieurs exercices pour nous y aider : le viseur existentiel, le parcours de vie, l’identification des peurs et comportements infantiles, la formulation de sa vision, l’analyse psycho-littéraire, le schéma narratif de l’auteur à mettre en parallèle à celui de l’œuvre en cours de création, la voyance littéraire, la pratique de l’intuition guidée, etc.
Si comme moi, vous vous êtes retrouvée à court de réponses pour progresser dans les manuels d’écriture ou les témoignages d’écrivains, foncez et lisez ce livre !
2025 : la quête du Moi-écrivant
Mon année 2025 sera donc introspective : j’irai en quête de mon “Moi-écrivant”.
Eudes Sémeria affirme qu’il y a deux sortes d’écrivains : les vrais écrivains et les tricheurs.
“Les vrais écrivains mettent leur vie en jeu quand ils écrivent. Les tricheurs ne cherchent qu’à réaliser des visées infantiles (argent, notoriété) et produisent ainsi des écrits « détachés », sans aucun rapport avec ce qu’ils sont. Les tricheurs sortent inchangés et intacts (pour ne pas dire indifférents) de leur travail d’écriture, si bien que leur production ne constitue au fond qu’un exercice superficiel, généralement sans valeur artistique (même lorsqu’elle rencontre le succès).”
Je le trouve un peu dur. Il y a des auteurs qui produisent de très bons romans de divertissement qui ne méritent pas d’être appelés “tricheurs”. Ils ont toute leur place en librairie.
Mais moi, je ne veux pas seulement écrire de bons romans, je veux faire de la littérature. Alors je suis prête à mettre ma vie en jeu.
Et vous ? Que vous évoque cette intrication de la psychologie avec l’écriture ? Où en êtes-vous dans votre processus de maturation d’écrivain ? Que savez-vous sur votre Moi-écrivant ?
Ecrivez-moi → mathilde.desache@gmail.com
Et belle année 2025 !
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