#7. L'obéissance n'est plus pour nous
En 2025, osez briser les carcans et vivre libres. Ecrire libres. Inspiration avec Gertrude Stein et Julia Kerninon.
Je viens de lire le dernier essai littéraire de Julia Kerninon, Le passé est ma saison préférée. J’avais prévu de noter dans mon cahier deux ou trois citations comme d’habitude, avant de me rendre compte que j’avais souligné presque tout le livre.
Cela vaut donc la peine que je vous en parle !
Connaissez-vous Gertrude Stein ?
Julia Kerninon est romancière et traductrice. Elle a aussi écrit quelques essais littéraires très personnels comme Une activité respectable sur le métier d’écrivain ou Toucher la terre ferme sur la maternité.
Le passé est ma saison préférée vient de sortir et présente le parcours exceptionnel de l’écrivain Gertrude Stein comme un support de réflexion sur l’écriture au féminin.
Personnellement, je n’avais que très vaguement entendu parler de cette figure féministe proche de Picasso et du mouvement de l’art moderne à Paris du début du XXe siècle. J’ignorais qu’elle était en fait écrivain.
Et c’est tout le drame de Gertrude.
Virginia Woolf affirme que pour qu’une femme puisse écrire, il faut qu’elle ait une chambre à soi et 500 livres de rente. Gertrude Stein est héritière donc richissime et elle devait être “ailleurs le jour où toutes les autres femmes ont appris qu’il leur faudrait un homme et des enfants pour être considérées, pour avoir une vie digne de ce nom.” Bref, elle fait ce qu’elle veut.
Alors elle écrit. Beaucoup. Pendant des années. Elle conseille même les autres sur leur écriture (dont le macho Hemingway !). On dit d’elle qu’elle est comme du “levain, elle apprend à tout le monde à élargir sa technique”.
Mais le succès n’est pas au rendez-vous. Elle a déjà presque 60 ans.
Voler l’autobiographie de quelqu’un d’autre
Elle se résigne à cet insuccès et se met enfin à écrire ce qu’elle pense vraiment. Elle s’écrit même les lettres qu’elle aurait aimé recevoir (tiens tiens… ça ne vous fait pas penser à un exercice d’écriture que je vous ai proposé dans un précédent numéro ?).
Elle raconte la vie mondaine parisienne qu’elle a connue, le salon qu’elle tenait, comment elle a assemblé sa collection d’œuvres d’art. Elle se donne le premier rôle. Quand on lit son livre, on a l’impression que le monde tournait autour d’elle… une femme, quel scandale !
Et pour cela, elle use d’un subterfuge. Le livre s’intitule Autobiographie d’Alice Toklas, et c’est effectivement une autobiographie… de sa compagne Alice. Qui de mieux pour dire du bien d’elle que la femme qui l’aime ?
La narration à la première personne se fait du point de vue d’Alice qui raconte sa vie aux côtés de Gertrude, sauf que c’est Gertrude qui tient la plume et que ça parle surtout d’elle.
Le livre paraît en 1933. C’est un triomphe.
“Après tant d’années à s’efforcer d’écrire la meilleure prose qu’elle puisse imaginer et se faire chahuter, ignorer, piller par tout le petit monde littéraire, voilà qu’elle avait apparemment écrit un chef-d’œuvre.”
Julia Kerninon, Le passé est ma saison préférée
Il ne faut jamais réaliser ses rêves
Puis, elle connaît une immense panne d’écriture. Et par la suite, ses textes qu’elle considère les meilleurs sont quand même refusés par les éditeurs !
“Il ne faut jamais réaliser ses rêves parce que, après, tout est détruit.”
Je suis restée abasourdie devant cette phrase. Je n’y avais jamais pensé.
Depuis des années, je poursuis un rêve – écrire de la littérature –, une chimère…
J’y ai tout sacrifié. Plus rien d’autre n’a de sens que cette quête, absurde dans notre monde contemporain. Le plus souvent, je me plains, à la fois du temps que ça prend et de tout le chemin qu’il me reste à parcourir. J’ai soif d’arriver quelque part – même si j’ignore où.
Mais quand je lis l’histoire de Gertrude qui n’est reconnue dans son art qu’à 60 ans et qui connaît ensuite cette panne d’écriture, ces doutes, ces “lauriers durs à porter”, je me dis que finalement, la liberté, c’est maintenant que je peux la vivre ! Pas après :-)
Et vous, que vous inspire cette phrase ?
“En tant que femmes, l’obéissance ne nous a jamais beaucoup réussi.”
Alors pour 2025, je vous invite à vous aussi profiter de cette liberté pour transgresser les codes de l’écriture, explorer d’autres formes, d’autres sujets, rendre visible “toute [cette] moitié du monde” à laquelle nous appartenons et que j’ai déjà évoquée dans une lettre précédente.
Les propos de Julia Kerninon sont à ce sujet éloquents. Je n’aurais pas dit mieux : je vous recommande chaudement d’écouter son interview. Foncez !
“La littérature ayant été faite principalement par les hommes, les femmes y sont très absentes ou très mal représentées. Mais c’est encore pire que ça. Comme la littérature est un domaine masculin, on a tendance, même en tant que femme, quand on entre dans ce champ d’action, à reproduire des choses masculines (…). Il nous reste encore à inventer une façon honnête de raconter ce qu’est le monde vu par des femmes (…). Ce que nous avons tous accepté comme étant un roman n’est que la version masculine du roman.”
Et bien sûr à lire son livre Le passé est ma saison préférée dont cette citation est extraite :
“Si l’entrée croissante des femmes en littérature avait déjà commencé à modifier le sujet des livres, elle allait bientôt bouleverser leur structure, l’idée même de ce que nous reconnaissons comme étant un roman.
Les fictions à la ligne claire sous-entendant qu’il y aurait un seul problème, qu’on pourrait le résoudre et revenir illico là où on en était (…) ne vont pas nécessairement disparaître, mais au sein de la production globale elles vont être chamarrées de textes racontant la complexité, le sensible, le futur. (…)
Nous pouvons refuser la structure narrative et sociétale qui nous est imposée et faire à notre manière. (…)
Nous pouvons établir une nouvelle forme d’héroïsme avec ses propres lois, ses propres codes, un héroïsme pour lequel les mots n’ont pas encore été inventés.”
Exercice d’écriture
Une nouvelle forme d’héroïsme ?
Cette semaine, je vais vous demander de faire un portrait… de femme évidement !
Je lirai avec attention les textes que vous m’enverrez à mathilde.desache@gmail.com
Consigne :
Faites un portrait de femme qui vous inspire à désobéir.
Cette femme peut exister ou être un mix de plusieurs femmes que vous connaissez.
Forme libre.
Je vous donne rendez-vous la semaine prochaine pour faire le bilan de l’année écoulée et vous faire part de mes projets pour 2025.
A bientôt !
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J’ai vu/entendu des extraits de cette interview que j’ai trouvée frappante.