#11. Quitter ton mari, tuer tes enfants et pratiquer la sorcellerie
Pourquoi avons-nous peur des féministes ?
Il y a quelques mois est paru mon livre Se préparer au mariage ou rectifier le cap en chemin et j’ai reçu des retours de lectrices interloquées : “Qu’est-ce que vient faire un chapitre sur le féminisme dans un livre sur le mariage ?”
Même réaction allergique du côté des hommes. Lorsque j’ai demandé à l’un d’eux (pourtant moderne) : “T’engages-tu à être un mari féministe pour ma super copine ?”, il a buggé. Se qualifier de féministe, je lui en demandais trop !
Alors, je me suis rendue à l’évidence : le mot “féministe” fait peur. Pourquoi ?
La peur de se dire féministe, que ce soit pour les hommes ou pour les femmes, vient de plusieurs couches d'incompréhension, de caricatures, et de tensions sociales autour du sujet.
Les féministes, nouveaux grands méchants loups
Beaucoup de gens associent encore le féminisme à une caricature : celle de femmes en colère, "anti-hommes", agressives ou moralistes. Il y a l'idée qu'être féministe, c'est adopter un militantisme radical ou systématiquement conflictuel.
J’ai même eu un jour une réaction très spontanée d’un collègue, étonné que je me qualifie de féministe : “Ah c’est fou, je te voyais pas comme ça. Donc le week-end tu défiles les seins nus et tu couches avec des femmes ? Tu as déjà avorté combien de fois ?” Un peu plus et il allait me conseiller d’aller soigner mon hystérie à la Salpêtrière…
Dans la même veine, j’ai trouvé très drôle et très provocateur le titre du nouveau livre de la féministe Alex Tamécylia : Les féministes t’encouragent à quitter ton mari, tuer tes enfants, pratiquer la sorcellerie, détruire le capitalisme et devenir trans-pédé-gouine.
Tout un programme !
Bien sûr, on peut tout à fait ne pas se reconnaître, ne pas se sentir concernée, et même mal à l’aise quand on lit Sortir du trou de Maïa Mazaurette, Moi les hommes je les déteste de Pauline Harmange, Le génie lesbien d’Alice Coffin, King Kong Théorie de Virginie Despentes, etc.
Ces auteures sont perçues comme radicales parce qu'elles refusent de lisser leur discours ou de s’excuser pour leur vision des choses. En réalité, leur message est souvent simplifié ou caricaturé dans l’espace public.
Et c’est comme ça qu’on se retrouve à avoir peur de la grande méchante féministe.
Ce que cela cache est une méconnaissance du féminisme dans sa diversité. On oublie qu'être féministe, c'est avant tout croire en l'égalité des sexes, pas nécessairement brûler son soutien-gorge ou attaquer tous les hommes.
Nous sommes tous des féministes
C’est le titre d’un petit livre de l’excellente romancière Chimamanda Ngozi Adichie. J’y ai trouvé une définition du féminisme qui me convient très bien et m’a aidée à m’assumer en tant que telle.
“Je considère comme féministe un homme ou une femme qui dit, oui, la question du genre telle qu’elle existe aujourd’hui pose problème et nous devons le régler, nous devons faire mieux. Tous autant que nous sommes, femmes et hommes.”
Qu’en pensez-vous ? Avec cette définition, est-ce plus simple de se dire féministe ?
Certaines (et surtout certains) ne s’y retrouveront toujours pas et argueront que non, il n’existe plus aujourd’hui de problème à être une femme dans notre société. “Mais qu’est-ce que vous voulez de plus ? Vous avez maintenant le droit de travailler !”
Une remise en question inconfortable
Ce que je retiens de tous ces échanges sur le sujet, avec des hommes comme avec des femmes, c’est que le féminisme implique une remise en question assez inconfortable.
Dire "je suis féministe", c'est admettre qu'on s'inscrit dans une lutte contre des systèmes d'oppression auxquels on participe parfois sans s'en rendre compte. Par exemple, reconnaître qu'on profite de privilèges en tant qu'homme ou qu'on a parfois intériorisé des normes sexistes en tant que femme.
Or, beaucoup de gens n’aiment pas se sentir "coupables" ou complices ! Le féminisme pousse à examiner des comportements ou des structures qu’on préfère ignorer pour éviter l’inconfort.
Il y a aussi une résistance, parfois inconsciente, face aux avancées féministes récentes : #MeToo, lois sur l'égalité salariale, lutte contre les violences sexistes. Ces changements bousculent des habitudes et des privilèges, et cela génère de la peur ou du ressentiment chez certains.
C’est la preuve que le féminisme a un impact réel. Chaque progrès provoque une réaction de rejet ou de défense, un phénomène naturel dans tout changement social.
Enfin, le mot "féminisme" évoque aux yeux de certains et certaines un combat "dépassé" ou exclusif. Certaines femmes pensent : "Je ne me considère pas féministe parce que je ne suis pas contre les hommes, je veux juste l'égalité." Cela révèle une méconnaissance des bases historiques du féminisme.
Ce n’est pas un mot contre les hommes, c’est un mot pour une société plus juste.
Concilier égalité et reconnaissance des différences
Comme j’ai un côté un peu désuet, j’avoue que mes goûts de lectures féministes s’orientent plutôt vers le style classique et élégant d’Elisabeth Badinter que la modernité d’Alex Tamécylia. Je vous recommande donc la lecture entre autres de XY - De l’identité masculine, L’Amour en plus - Une histoire de l’amour maternel et le récent et très rapide à lire Messieurs, encore un effort.
Historiquement, le féminisme a oscillé entre deux grandes visions. D'une part, un féminisme universaliste, incarné par Simone de Beauvoir, prônant la mixité et l'égalité en insistant sur les ressemblances entre hommes et femmes. Cependant, ce modèle a été critiqué pour ses limites : il n'aurait pas suffisamment pris en compte les spécificités féminines, conduisant certaines femmes à vivre une double journée de travail ou à s'aliéner en imitant les hommes sans véritablement transformer les rapports de pouvoir.
Personnellement, j’ai toujours un pincement au coeur en regardant ces femmes qui ont réussi brillamment, sont arrivées au Comex d’une grande entreprise, sont érigées en modèles de la femme moderne. Pour en arriver là, elles ont tellement dû se comporter “en homme”, sacrifier une part d’elles-mêmes, que je me demande à chaque fois en quoi “elles sont encore des femmes” ? (Si on met à part le fait qu’on attend en plus de ces femmes brillantes d’être apprêtées, maquillées, agréables à regarder…)
“Pour être les égales des hommes, les femmes ont dû renier leur essence féminine et se faire les pâles décalques de leurs maîtres. En perdant leur identité, elles vivent la pire des aliénations et donnent, sans le savoir, son ultime victoire à l’impérialisme masculin.”
Elisabeth Badinter, XY - De l’identité masculine
Face à ces critiques, le féminisme différencialiste a émergé dans les années 1970. Ce courant met en avant les différences entre les sexes comme essentielles et irréductibles, considérant que la biologie influe profondément sur les comportements et les rôles sociaux. Les féministes différencialistes préconisent la séparation des sexes et encouragent les femmes à privilégier les relations entre elles. Cependant, ce différencialisme, parfois poussé à l'extrême, a conduit à des positions polarisées, comme l'idée d'une séparation complète des sexes ou la revendication d'une identité féminine opposée au masculin.
Ces approches, bien qu'opposées, ont en commun une vision déterministe, où l'un des genres est systématiquement valorisé au détriment de l'autre. Aujourd'hui, la réflexion féministe s'efforce de dépasser cette opposition.
Reconnaître les différences sans les essentialiser, tout en promouvant une égalité réelle, reste un défi central pour concilier justice et pluralité.
Ce qu’en dit le Pape
Vous ne vous attendiez pas à celle-là ? Citer le Pape dans une newsletter sur les féministes !
Mais j’aime la provocation et je prône l’ouverture d’esprit à 360°.
Sans être croyante, j’aime consulter parfois les textes du Pape François qui sont toujours très inspirants et d’une grande sagesse, même si l’on n’est pas toujours d’accord.
J’ai donc relu Amoris Laetitia (La joie de l’amour), une exhortation apostolique post-synodale publiée par le pape François le 19 mars 2016 (ne me demandez pas ce qu’est une exhortation apostolique…).
Le Pape François y rejette la domination patriarcale. Il appelle à un partenariat égalitaire entre les époux, basé sur le respect mutuel, l’amour, et la complémentarité.
“Certains considèrent que beaucoup de problèmes actuels sont apparus à partir de l’émancipation de la femme. Mais cet argument n’est pas valide, « cela est faux, ce n’est pas vrai ! C’est une forme de machisme ». L’égale dignité entre l’homme et la femme nous pousse à nous réjouir que les vieilles formes de discrimination soient dépassées, et qu’au sein des familles un effort de réciprocité se réalise. Même si des formes de féminisme, qu’on ne peut juger adéquates, apparaissent, nous admirons cependant une œuvre de l’Esprit dans la reconnaissance plus claire de la dignité de la femme et de ses droits.”
Et plus loin :
“J’apprécie le féminisme lorsqu’il ne prétend pas à l’uniformité ni à la négation de la maternité. Car la grandeur de la femme implique tous les droits qui émanent de son inaliénable dignité humaine, mais aussi de son génie féminin, indispensable à la société. Ses capacités spécifiquement féminines – en particulier la maternité – lui accordent aussi des devoirs, parce que le fait qu’elle est femme implique également une mission singulière dans ce monde, que la société doit protéger et préserver pour le bien de tous.”
Je ne suis pas complètement d’accord avec lui, mais c’est une opinion qui se vaut, que je respecte et qui doit avoir le droit d’exister pour que l’on puisse, à force de débats bienveillants, trouver un équilibre sur la question.
Bref mon point est : même le Pape dit apprécier le féminisme, alors pourquoi en avoir peur ? :-)
Etre féministe, pourquoi faire ?
Parce que vous avez certainement peu de temps,
que vous ne voulez pas vous casser la tête,
ou bien que vous souhaitez faire évoluer sur le sujet un mari, un frère, un ami qui vous laisse 1 chance, une seule,
je vous recommande donc un tout petit ouvrage très bien fait de la collection ALT des Editions de la Martinière :
Etre feministe, pourquoi faire ? de Camille Froidevaux-Metterie.
32 pages pour 3,50€ qui rassemblent l’essentiel sur la question.
Exercice d’écriture
Je vous invite cette semaine à faire une liste à la Prévert de tout ce que le mot "féministe" évoque pour vous.
Ensuite, à côté de chaque mot ou idée, demandez-vous : pourquoi cela me dérange-t-il ? Est-ce une peur fondée ou un stéréotype ?
Comme d’habitude, vous pouvez m’envoyer vos textes à mathilde.desache@gmail.com
Je serai heureuse de vous lire !
Ma vie d’écrivain
Une vie d’écrivain très mondaine cette semaine avec la parution de 2 ouvrages de mes clients qu’évidemment je vous recommande !
1+1=3 ! Décuplez le potentiel de votre équipe grâce au collectif d’Aurélien Rothstein, mon co-auteur ;
100 jours pour révéler votre leadership de Delphine Zanelli, que j’ai eu le grand plaisir de coacher.
Prenez soin de vous, n’ayez plus peur de vous dire féministes, et à la semaine prochaine !
Mathilde
P.S. J’ai écrit cette newsletter un samedi matin pendant que mon mari faisait les courses, préparait le repas et amenait notre fille à son cours de danse. Comme quoi, le féminisme, c’est utile :-)
Fais un cadeau à une amie : parle-lui de cette newsletter !