#13. Childfree : heureuse et sans enfant
Edition à 4 mains avec la romancière Noëmie Lemos pour évoquer le plaisir de ne pas être mère
Cette semaine, la romancière Noëmie Lemos se joint à moi pour écrire une édition dédiée à un sujet tabou : les femmes qui ne veulent pas être mères.
Suite à l’édition sur l’écriture pendant la grossesse, elle m’a écrit ceci :
“Tu n’as pas parlé du plaisir de ne pas être mère.
Se laisser libre d’être soi, de suivre sa voie même si ce n’est pas celle de la société, d’écouter son corps et ses tripes avant les imprécations.
Tout en se reconnaissant très bien dans ce processus de gestation, en étant libre pour accompagner les sœurs enceintes, et accueillir les enfants.”
Le mouvement Childfree
Le mouvement "childfree" désigne les personnes, majoritairement des femmes, qui choisissent consciemment de ne pas avoir d’enfants. Ce choix, souvent perçu comme contre-culturel, interroge les normes sociales et les injonctions traditionnelles autour de la maternité.
Loin d’être un simple refus, être "childfree", c’est revendiquer le droit à une vie épanouie et libre de la pression de la reproduction, valorisant d’autres formes de réalisation personnelle.
Ce mouvement, qui gagne en visibilité grâce aux réseaux sociaux et à la littérature féministe, invite à repenser la maternité non comme un impératif universel mais comme une option parmi d’autres.
Pourtant, il reste l’objet de nombreux jugements et incompréhensions, témoignant des résistances persistantes face à la remise en question des rôles genrés traditionnels.
Une étude du Pew Research Center de 2021 révèle qu’environ 44% des Américains (hommes et femmes confondus) âgés de 18 à 49 ans qui n’ont pas encore d’enfant déclarent ne pas avoir l’intention d’en faire.
Dans son essai, Messieurs encore un effort, Elisabeth Badinter propose quelques hypothèses sociologiques à l’ampleur de cette tendance. Outre la préoccupation écologiste des jeunes générations, elle souligne le piège que peut représenter la maternité de nos jours. Il faut être une femme puissante qui fait carrière, mais aussi une mère irréprochable qui suit les principes de l’éducation positive… alors même que les hommes n’ont toujours pas pris leur part de travail domestique. Bref, elle réclame à ces messieurs “encore un effort”…
Dans cette édition, je vous propose de lire en direct le témoignage d’une femme écrivain qui a fait ce choix.
Qui est Noëmie Lemos ?
Noëmie Lemos est autrice et ingénieure. Elle écrit en mêlant sciences et littérature. Soucieuse de transmettre un message positif et plein d’espoir à son lectorat, elle construit des ponts entre ceux qui ne se parlent pas. Elle met en scène un vivre ensemble basé sur la tolérance et la conscience écologique.
Vous pouvez lire d’elle la novella Neige, un conte de Noël écrit pour ses sœurs enceintes et à destination de ses futurs neveux et nièces ou encore l’excellent roman de science-fiction Hope publié aux éditions Timelapse.
Hope est à la croisée d’un space-opera et d’une utopie écologiste. On y découvre une société exclusivement féminine qui lutte pour sa survie sur une planète désertique dans l’attente que les Terriennes arrivent un jour. Tout de suite, on s’attache au jeune héros Asha, le tout premier garçon de la planète, et à sa mère Jade, leur relation étant décrite avec beaucoup de poésie et de douceur.
Je lui laisse maintenant la parole… ou plutôt la plume !
Écrire la maternité en étant childfree
[NOËMIE VOUS ÉCRIT]
À la lecture de la newsletter de Mathilde, « Écrire enceinte… et chanter », quelque chose m’a sauté aux yeux.
Parmi toute la diversité des chansons évoquant la femme et son rapport à la grossesse, il manquait une situation. Le plaisir de ne pas enfanter. Le plaisir d’être soi-même, en tant que femme, bien dans son corps qui ne créera jamais la vie humaine. Ce plaisir que j’ai à avoir abandonné la possibilité même de cette création.
La création, une forme d’enfantement
C’est dans ce plaisir que s’épanouit ma connexion à moi-même et à ma créativité.
Je crée. Beaucoup. Je suis écrivaine, artisane, ingénieure, jardinière. Je crée des mots, des analyses, des potagers, des petits plats, des sourires… La vie est création !
Cette création est tout à la fois un processus gestationnel, ce merveilleux sentiment d’excitation, d’émerveillement qu’un rien tout petit se transforme en grand quelque chose, et une connexion avec moi-même, avec les autres, avec la Nature. C’est un processus qui naît dans mes tripes. Profond. Inexplicable. Puissant.
Un appel, une expérience similaire à l’enfantement ?
Oui, je le pense.
Lorsque mes deux sœurs m’ont annoncé leurs grossesses respectives, j’ai ressenti le besoin de publier. Créer non pas pour moi, mais pour les autres. Créer un monde vivant par le regard de ses lectrices et lecteurs. Transmettre un petit quelque chose, faire peut-être bouger des lignes, qui sait ? Comme la grossesse, créer pour changer, à son échelle, un bout du monde.
La vie est si bien faite que mes sœurs ont enfanté par deux fois en simultané : écrire Neige puis Hope a été ma façon à moi de me connecter à elles, de partager ce pouvoir fantastique de la création, qui dépasse les limites biologiques. Dans ces histoires, je parle naturellement de grossesse, de maternité, de famille. Des thématiques sur lesquelles on ne m’attendait pas vraiment : après tout, je suis childfree et féministe, pourquoi ne pas commencer ma carrière en mettant de côté la traditionnelle image de la femme mère ?
D’un côté les mères, de l’autre les childfree ?
À vrai dire, sur l’instant, je ne me suis pas posé la question : l’évidence était là, les thématiques et les personnages sont apparus d’eux-mêmes, portés par ma connexion avec mes sœurs. Si la société fait beaucoup d’effort pour séparer les « autres femmes » des mères (sont-elles encore des femmes, d’ailleurs, la question est parfois posée, glaçante au possible), mon cœur a toujours su qu’il n’en est rien.
Être childfree ne suppose pas détester les mères, ne rien vouloir connaître de la grossesse ou pire ! Ne rien connaître de ce merveilleux processus de création !
Le bouchon est même poussé plus loin : la psychologie de comptoir prête aux hommes une frustration à ne pas enfanter qui expliquerait qu’ils soient si attachés à leurs projets de travail, le seul domaine où ils peuvent « créer » quelque chose, comprenez un résultat (donc plus efficaces, donc mieux payés, CQFD !).
Vous l’aurez compris. Pour moi, ne pas enfanter n’empêche en rien la connexion avec les mères. Je suis particulièrement émue lorsque l’une d’elles choisit l’un de mes livres pour l’accompagner dans sa grossesse. J’aime écouter mes sœurs ou mes ami·es parler de leur vie, et cela inclut leur quotidien de parent·es ! Je suis épanouie dans mon rôle de tata. Et je tiens, aujourd’hui, à continuer de créer des ponts par-dessus nos croyances.
L’humanité ne se sépare pas en deux. L’expérience d’un processus créatif, gestationnel, transcende notre biologie et nos choix. Écrire n’est pas pour moi la compensation de mes non-grossesses. C’est la même essence de création, et elle me relie à chacun·e d’entre vous.
Peu importe nos choix et notre biologie : nous partageons toutes et tous ce même élan créatif, qu’il donne vie à une histoire, une œuvre ou un nouvel être.
Le conseil de lecture de Noëmie
La lecture de l’essai de Bettina Zourli, Le temps du choix, a été le déclic qui me manquait.
Dans un style très agréable et documenté, l’autrice éclaire par l’histoire et la politique les étapes et motivations à la séparation sociétale entre les femmes mères, représentant un idéal, et les non-mères par choix (childfree), décriées.
Loin d’être une apologie de la stérilisation, ce livre est au contraire une invitation à la réconciliation. En interrogeant la liberté de choix par l’existence d’une seule option socialement reconnue, Bettina nous aide à comprendre que nous avons toutes et tous intérêt à ne pas séparer l’humanité en deux.
La reconnaissance du plaisir à être non-mère ou du regret d’être mère permet de construire des bases saines pour des familles et une société plus juste et plus épanouie. Car faire famille n’implique pas uniquement les couples avec enfants, et va bien au-delà.
Exercice d’écriture
Je vous invite à briser ce tabou à votre tour.
Que vous soyez déjà mère ou que vous comptiez l’être un jour, racontez-nous : À quoi ressemblerait votre vie si vous n’aviez pas d’enfant ?
Laissez libre cours à toutes vos envies de liberté, toutes vos fantaisies. Déroulez-nous une journée idéale ou bien toute votre vie alternative.
Ce n’est pas parce que vous vous offrez cette liberté d’écrire que vous êtes une mauvaise mère ou que vous le serez. Ce n’est pas dangereux. Alors lâchez-vous !
Comme d’habitude, vous pouvez partager vos textes en les envoyant à mathilde.desache@gmail.com
Un roman sur le choix d’être mère ou pas
Pour terminer cette édition, je vous propose la lecture d’un roman qui fait justement cet exercice d’imaginer des vies alternatives à partir de cette décision d’être mère ou pas. Il s’agit des 9 vies de Rose Napolitano de Donna Freitas.
“Là, debout, je contemple longuement la mer.
Je me déleste d’un fardeau. Je le sens quitter mes épaules, je sens son poids s’alléger peu à peu, disparaître. Des larmes me piquent les yeux et je me mets à pleurer, mais ce ne sont pas des pleurs de tristesse.
Rien ne m’oblige à être mère
La marée monte, et l’eau, froide et délicieuse, baigne mes pieds.
Rien ne m’oblige à avoir un bébé si je n’en veux pas. Et je n’en veux pas, je n’en ai jamais voulu. Jamais.”
Ce type de lettre où je partage la plume avec une co-autrice vous plaît ?
Dites-le moi en likant cette édition et j’inviterai d’autres amies écrivains !
Un grand merci à Noëmie et à la semaine prochaine,
Mathilde
Fais un cadeau à une amie : parle-lui de cette newsletter !
On critique beaucoup les femmes qui ne veulent pas être mère, mais très peu les hommes qui ne veulent pas être père. J'ai quelques amies qui souhaitent fonder une famille, mais dont le compagnon ne veut pas d'enfant, car devoir s'occuper d'autres choses que son propre nombril leur passe au dessus. Ils ne se posent même pas la question et n'ont pas a se justifier de leur choix