#16. Vieille peau !
Ecrire la vieillesse au féminin. Votre Book Boost thématique de mars 2025.
Vous proposer un “Book Boost” sur le thème de la vieillesse au féminin est une gageure. Mais un échange avec ma fille de 4 ans m’a poussée à le faire :
Ma fille : “T’inquiète pas maman, tu vas grandir !”
Moi : “Euh non. Je suis adulte. Quand on est adulte on ne grandit plus, on vieillit.”
Ma fille : “Oui, je sais, mais c’est pas poli de te dire que tu vas devenir vieille, donc je préfère te dire que tu vas grandir.”
Qu’est ce qu’il s’est passé pour qu’à seulement 4 ans ma fille ait intériorisée que le mot “vieille” était péjoratif dans notre société ?
L’enfer des femmes, c’est la vieillesse
C’est ce qu’affirme notre cher La Rochefoucauld dans ses Maximes.
Déjà qu’être vieux dans notre société n’a pas bonne presse, être vieille serait encore pire.
On se rappelle du scandale des révélations sur le traitement de nos anciens dans les Ehpad par Victor Castanet dans Les Fossoyeurs en 2022. Mais rien de nouveau sous le soleil : en 1970, Simone de Beauvoir alertait déjà sur la condition de paria des vieux dans un ouvrage de presque 600 pages (La vieillesse).
Oui, j’ose les appeler “les vieux”, “les vieilles”, au diable les anciens, les ainés, les personnes âgées ! Je l’ai expliqué à ma fille tout à l’heure : vieille n’est pas un gros mot.
J’ai l’impression que chez les hommes, la vieillesse s’accompagne d’une forme de noblesse, de respectabilité, de fortune aussi (on est moches mais on est riches). Pas chez les femmes. Nous, on a le droit à Tati Danielle, quand tout simplement on ne devient pas invisibles.
Je trouve toujours la sagesse dans les paroles de mon enfant : “D’accord maman, vieille c’est pas un gros mot, mais mamie elle aimerait pas que je lui dise qu’elle est vieille, alors tu vois c’est comme un gros mot.” Elle me rappelle souvent que mes valeurs de l’ordre de l’idéal vivent mal la confrontation avec la réalité.
Alors comment changer la réalité ? Comment faire pour que “vieille peau !” ne soit plus une insulte ?
En la portant avec fierté, cette vieille peau.
J’espère que le parallèle n’offusquera aucune lectrice, mais j’ai pensé au mouvement de la négritude, ou comment Aimé Césaire avait transformé un mot d’une extrême violence et au passé tragique, “nègre”, en un autre à assumer avec fierté “négritude”.
“La Négritude est la simple reconnaissance du fait d'être noir, et l'acceptation de ce fait, de notre destin de noir, de notre histoire et de notre culture.”
Pour conquérir notre liberté de femme,
que la société ait décidé qu’on était vieille à 70, 60, 50 ans…
… ou même 30 ans (si,si je vous assure qu’en magasin, on me propose déjà des crèmes anti-âge :o),
portons haut les couleurs de la vieillitude !
Vieillir : la meilleure des vengeances
“Ah mais non, on ne va pas ajouter la mauvaise humeur aux rides, on ne va pas laisser couler des larmes sur ces visages flétris, il ne manquerait plus que ça. Tous les matins poser ses paumes sur ses joues et tirer pour retrouver le temps d’un instant quelque chose qui ressemble au moi d’autrefois, baisser le front, compter les cheveux blancs, la longueur des racines et se demander, mais ça va durer encore combien de temps ? Comment on fait pour être une femme à partir de maintenant ?” — Leïla Slimani, J’emporterai le feu
Il y a de très belles pages sur la vieillesse au féminin dans J’emporterai le feu de Leïla Slimani, le roman qui conclut sa trilogie marocaine. Ci-dessus, c’est Aïcha, seconde génération de la famille, gynécologue, la cinquantaine, qui s’exprime.
Quand je me suis mise en quête de livres sur la vieillesse, j’ai été horrifiée de constater, d’une part qu’il n’y en avait pas beaucoup, d’autre part qu’il était difficile d’en trouver qui ne parlent pas avant tout de mort, de maladie, de solitude, d’euthanasie, d’EHPAD, d’Alzheimer, etc.
Quelle liberté nous reste-t-il dans la vieillesse quand on cherche à nous imposer un discours restrictif dans lequel on ne se reconnaît pas forcément ?
Franchement, je m’adresse à vous, mes lectrices qui par leur âge officiel devraient se sentir vieilles : vous vous y retrouvez dans ces lectures ?
J’emprunte les mots de Goliarda Sapienza et m’adresse à vous en vous nommant du nom de l’incroyable héroïne, Modesta, de L’Art de la Joie :
“Même le mot de vieillesse ment, Modesta, il a été rempli de fantômes effrayants comme le mot de mort pour te faire tenir tranquille, respectueuse de toutes les lois instituées. Qui sait ce qu’est la vieillesse ? Quand commence-t-elle ? Au temps de Stendhal, à trente ans, une femme était vieille. Moi, à trente ans, j’ai tout juste commencé à comprendre et à vivre. Qui a osé franchir le seuil de ce mot sans écouter préjugés et lieux communs ? Peut-être plus de gens que tu ne l’imagines, si tu peux rencontrer dans les trous où on les a relégués des visages sereins, des regards calmes et pleins de savoir. Mais personne n’a jamais osé en parler par crainte - toujours l’éternelle crainte - de renverser les faux équilibres établis. Devant la porte close de ce mot effrayant, la tentation d’entrer, de tout observer te prend, n’est-ce- pas, Modesta ? Bien sûr, à chaque coin, après avoir passé cette porte, tu peux rencontrer ta propre mort. Mais pourquoi l’attendre là dehors, le dos courbé, les mains mollement ramenées vers toi ? Pourquoi ne pas aller à sa rencontre et la défier jouer après jour, heure après heure, en lui dérobant toute la vie possible ?” — Goliarda Sapienza, L’Art de la Joie
Oui, j’emprunte les mots de femmes écrivains plus âgées que moi pour parler de la vieillesse, car à mon âge on ne peut que la subodorer, avoir une vague intuition de ce qu’elle recouvre, on ne peut pas l’écrire sans craindre de tomber dans des stéréotypes.
Et je vous propose un modèle de vieille femme puissante qui m’a beaucoup parlé. Il s’agit de Mathilde, l’héroïne de la trilogie du Pays des Autres de Leïla Slimani, qui dans le dernier tome de la saga décide de rester vieillir au Maroc et de ne pas rentrer en France à la mort de son époux.
“Oui, ce pays était devenu le sien et elle pensa qu’il n’y avait pas de meilleur endroit pour vieillir. Au Maroc, on n’enfermait pas les vieux dans des maisons de retraite, on ne les abandonnait pas dans des hospices, aux mains d’inconnus qui n’avaient pour eux ni considération ni tendresse. Pour une femme, vieillir était la meilleure des vengeances car on se faisait enfin respecter. Les gens vous embrassaient l’épaule et vous bénissaient. Une fois les seins taris, le sexe cousu, le visage raviné par les rides et les soucis, on acceptait enfin de vous prendre au sérieux. Au crépuscule de votre vie, on finissait par reconnaître que oui, vous aviez beaucoup donné, qu’il en avait fallu de l’endurance et de la tendresse pour que des enfants grandissent et qu’ils aient eux-mêmes des enfants. L’âge lui conféra le pouvoir dont elle avait toujours manqué, la respectabilité à laquelle elle avait aspiré. Les vieilles pouvaient se faire tyran, autocrate, souverain absolu, elles pouvaient utiliser leur canne pour battre et houspiller, pousser des cris, réclamer, personne n’osait les contredire.” — Leïla Slimani, J’emporterai le feu
Les jeunes vieilles
Voilà de quoi nous inspirer. Maintenant passons à la pratique : comment ne pas tomber dans les clichés de la vieille peau ? Comment devenir à la place une “jeune vieille” ?
J’ai trouvé quelques pistes intéressantes dans les ouvrages de Marie de Hennezel, psychologue engagée dans l’amélioration de la fin de vie, que j’ai découverte lorsque je travaillais en Ehpad.
Dans Une vie pour se mettre au monde, coécrit avec le philosophe Bertrand Vergely, elle propose une manière de percevoir sa vieillesse comme une avancée en âge et se rapproche en cela de Montaigne qui voyait la vie comme un voyage. Elle nous donne des clés pour bien vieillir et réussir sa mort.
Bien sûr, dans la vieillesse, on subit beaucoup de choses, à commencer par son corps qui fonctionne moins bien et qui nous fait dépendre de tiers. Mais on oublie qu’on a aussi beaucoup de libertés : on peut choisir le regard qu’on porte sur la vie et le monde. La liberté est une affaire d’intériorité, pas d’indépendance.
Voilà le portrait qu’elle fait de la jeune vieille - que pour ma part j’aspire à devenir un jour !
“Les « jeunes » de 90 ans ne se plaignent jamais de leurs maux ou de leur situation. Ils prennent la vie du bon côté, et vivent au présent, même s’ils continuent d’avoir des projets. Ils sont tournés vers les autres, qu’ils observent avec bienveillance, sans jugement, faisant preuve d’une curiosité inouïe. Ils s’intéressent au monde, aux plus jeunes qu’ils écoutent, non pour leur faire la leçon ni tenter de leur faire part de leur expérience, mais pour les encourager dans ce qu’ils font. Ils restent créatifs, passionnés. Ils sont gais, joyeux, capables d’émerveillement. Ils ne s’ennuient pas, même et surtout lorsqu’ils ne font rien, car on a le sentiment que le seul fait d’être, de respirer, de contempler, de savourer le moment présent suffit à remplir leur existence.” — Marie de Hennezel et Bertrand Vergely, Une vie pour se mettre au monde
Et puis elle a cette réflexion qui me parle déjà : “Vieillir, c’est être de moins en moins contrariée.” C’est vrai qu’à 30 ans, et surtout depuis que je suis mère, tout ce qui me contrariait quand j’en avais 20 me passe maintenant bien au-dessus de la tête. Pas vous ?
Top 10 des livres sur la vieillesse
Comme d’habitude, je vous ai concocté une liste de 10 livres sur la vieillesse. Je suis passée outre les livres poignants sur l’accompagnement d’un parent en fin de vie, sur les affres d’Alzheimer et compagnie (qui j’ai l’impression représentent un sous-genre à part entière dans la littérature), les EHPAD, etc. pour me concentrer sur des livres qui boostent ou font réfléchir.
L’été où je suis devenue vieille d’Isabelle de Courtivron : le titre dit tout ! Plein d’humour, l’autrice nous parle de ce fameux été à 73 ans où soudainement elle s’est sentie vieille.
Plutôt jouir ! de Swann Meralli et Tiffanie Vande Ghinste (bande dessinée) : une petite vieille s’enfuit de l’EHPAD avec un objectif bien précis en tête, avoir un dernier orgasme. J’ai ri du début à la fin :-)
Un chien à ma table de Claudie Hunzinger : prix Femina 2022, un très beau livre calme, un peu à la japonaise, sur la relation entre une romancière et un chien, à moins que ce soit un livre sur la vieillesse, sur le couple, la poésie et l’écologie ?
Le Sel de la vie de Françoise Héritier : petit livre à offrir les yeux fermés, j’en parle plus en détails ci-dessous.
Le goûter du lion d’Ogawa Ito : sur une île dans la mer intérieure du Japon, il existe une maison où l’on se prépare sereinement à mourir… et où l’on nous prépare sur mesure un goûter qui réveille les souvenirs. Vous le savez déjà : j’adore les romans d’Ogawa Ito, celui-ci ne fait pas exception.
Une vie pour se mettre au monde de Marie de Hennezel et Bertrand Vergely : un essai de philosophie et psychologie pour apprendre à bien vieillir, j’en parle ci-dessus.
Soixante printemps en hiver d’Aimée De Jongh et Ingrid Chabbert (bande dessinée) : le jour de ses 60 ans, Josy ose enfin se choisir elle-même, égoistement, elle décide abandonne famille et amis pour un roadtrip dans son vieux van qui lui permettra de conquérir sa liberté.
Quand j’ai froid de Valentine Choquet (bande dessinée) : une très belle histoire d’amitié intergénérationnelle, quand deux femmes s’entraident pour grandir chacune à leur âge.
Le “certain âge” de Madeleine Chapsal : le “certain âge”, celui de la vieillesse, serait celui de l’amour. Qu’en pensez-vous ? C’est son expérience personnelle et celle de ses amies que raconte l’autrice dans ce petit livre
Misericordia de Lidia Jorge : prix Medicis Etranger 2023, ce roman portugais vous fait rencontrer Maria Alberta, une vieille femme à fort caractère qui tient le journal de sa dernière année de vie. C’est aussi une histoire d’amour entre une mère et sa fille.
Et en bonus : la chanson “Ancêtre” de Lynda Lemay que je mettrai bien à mon enterrement :-)
Exercice d’écriture
Dans Le sel de la vie, l’anthropologue Françoise Héritier répond à la lettre reçue d’un ami où il lui avoue avoir réussi à « voler » une semaine de vacances. Elle lui affirme qu’il n’a rien volé du tout et que bien au contraire il faut se préserver du temps pour profiter des petites choses qui font « le sel de la vie ».
Elle dresse ensuite une longue liste de ces petites choses qui, pour elles, donnent du goût à la vie, plongeant dans ses souvenirs et menant une introspection simple et honnête. Certains éléments de la liste sont très personnels, d’autres parlent à chacun, faisant appel à la mémoire de nos sens.
Au final, cela donne un très beau texte invocateur pour nous rappeler, en ces temps où tout va trop vite, ce qui est vraiment important dans la vie.
D’où ma proposition de consigne d’écriture pour vous préparer dès maintenant à devenir une jeune vieille et embrasser votre vieillitude…
Faites une liste des petites choses qui font le sel de votre propre vie !
Je termine par une dernière citation de Benoîte Groult sur l’écriture de la vieillesse :
“Le problème, c’est que pour écrire valablement sur la vieillesse, il faut être entré en vieillesse. Mais, dans ce cas, elle est aussi entrée en vous et vous rend peu à peu incapable de l’appréhender. On ne saurait traiter du sujet que suffisamment âgé… on n’est capable d’en parler que si toute jeunesse n’est pas morte en soi.”
Benoîte Groult, La Touche étoile
Ma vie d’écrivain
Petite rubrique d’autopromotion.
Vous l’avez compris je pense : la vieillesse est un de mes sujets phares en écriture. J’ai hâte d’être en âge pour “écrire valablement” dessus.
Je vous invite donc à découvrir :
Trait d’union : un récit intimiste sur nos racines à tous, celles qui nous lient aux générations antérieures comme à la terre d’où l’on vient. De manière plus prosaïque, une collection de souvenirs d’enfants sur une grand-mère béarnaise.
L’EMPAD - L’Ecole de Magie pour Personnes Agées Démentes : une nouvelle de fantasy publiée dans la revue Fantasy Art & Studies, disponible gratuitement en ligne (p.97).
A la semaine prochaine !
Mathilde
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